4. Dentistes sur les dents

Mon nom est hurlé à l’interphone pendant que le bip se met à hululer.

 

On m’annonce que je pars pour « une suspicion de choc anaphylactique à l’induction d’une anesthésie locale» dans un cabinet dentaire… Caramba !

 

Equipe au complet au départ : ambulancier, infirmier, étudiant en médecine et ma pomme.

 

Sitôt démarré, sitôt arrivé : le cabinet est de l’autre côté de la rivière qui longe le CHU et notre jolie ville.

 

On est attendu :

- à la porte d’entrée de l’immeuble la première assistante dentaire,

- à la porte de l’appartement au premier étage la seconde assistante dentaire,

- à la porte du cabinet le premier dentiste,

- au chevet du patient : le second, de la même couleur que la blouse qu’il porte. Je n'avais jamais vu une telle nuance de vert.

 

Sur le fauteuil, à plat dos (ouf ! c’est un cabinet dentaire quand même), le patient. Il est dans un état tel que J.R.R. Tolkien aurait pu s’en inspirer pour décrire Gollum.

 

Visage complètement déformé, plissé, les yeux bridés à l’extrême, mâchoire fermée et lèvres retroussées, mains d’accoucheur sur leurs épaules respectives, genoux au menton, orteils pointant au plafond. Il respire tellement vite et bruyamment que le diagnostic est évident pour chaque membre de l’équipe. Aussitôt la tension s’effondre et on pose notre matériel.

 

Je me tourne vers les assistantes dentaires qui nous ont rejoints et je demande : « Auriez-vous un sac en plastique s’il-vous-plait ? »

 

Et là, la scène s’arrête.

Plus personne ne semble respirer (hormis le patient qui accélère).

L’assistante se tourne vers un dentiste et ça déclenche le hurlement du second qui a pâli cette fois !

 

« Mais vous vous foutez de ma gue… ? Qui c’est qui m’a foutu un cornichon* pareil ? Vous ne faites rien ? On ne vous a rien appris à faire ? Il faut le perfuser, l’intuber…. »

 

Et le premier dentiste de me sauter dessus et de (tenter de) me virer du cabinet.

 

Le dentiste n°2 qui est passé du blanc au rouge hurle à nouveau « Mathilde rappelez le SAMU, je veux parler au chef de service, je le connais : il faut qu’ils m‘envoient quelqu’un de compétent ! »

 

Et là avant que le « cornichon incompétent » n’ait le temps de répliquer (tant les faits s’étaient enchaînés rapidement) une petite voix se fait entendre, dans les aigus, en provenance du patient laissé jusque-là à l’abandon : « Fêêêêêt'skidiii ».

 

Le silence retombe et avant que je puisse réécouter le message pour le comprendre, la voix récidive, plus fort :

 

« Faites ce qu’il dit ! ».

 

Médusés dentistes et assistantes se tournent vers le fauteuil.

 

Mon ambulancier réagit aussitôt, ouvre la boîte à outils que nous utilisions alors et sort un petit sac poubelle blanc. Il me le tend, je m’en empare et me tourne vers l’étudiant : « Tu sais quoi faire ? ».

 

Pertinent ce dernier le récupère, l’ouvre, s’accroupit et le plaque sur la bouche du patient qui se laisse faire et respire dedans.

 

La scène se fige dans le temps et j’en profite pour m’asseoir sur le siège vacant du dentiste et commence (un peu narquois, j'avoue) à rédiger le compte-rendu d’intervention.

 

Au bout de quelques minutes, le patient respire plus calmement et commence à se détendre. J’en profite pour demander à l’étudiant en quelle année il est : il finissait sa quatrième.

 

Du coin de l’œil j’ai vu le dentiste (italien probablement puisqu'il est passé du vert au blanc puis au rouge) baisser la tête.

 

Quand tout rentra dans l’ordre le patient se releva, s’excusa auprès des dentistes et avoua sa peur bleue des soins dentaires. Il nous expliqua aussi qu’il était chercheur en biochimie et en profita pour expliquer aux dentistes la physiopathologie de la crise de tétanie.

 

Ce sont les dentistes qui en restèrent bouche bée…

 

*Pour être précis, le mot utilisé originellement ne comportait que trois lettres. Par un souci d'exactitude vous pouvez donc ôter les six du milieu…

 

Publiée pour la première fois sur le groupe Facebook "Perles du SAMU" le  9 mai 2018 à 13H21.

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