19. Elle ne savait pas...

Quand on est arrivés dans cette cabane au milieu de la forêt, la petite était née.

 

Ce sont les pompiers qui ont aidé la maman à accoucher.

 

Elle était posée entre ses deux seins, directement sur sa peau comme on le lui avait conseillé, sous une belle couche de couvertures.

 

J’ai donc posé deux clamps et coupé le cordon car le papa n’était pas encore arrivé.

 

Le grand frère était là lui.

Cinq ans, la face largement fendue en un sourire digne d’un dessin animé, il n’en perdait pas une.

Il venait de gagner une frangine et même si personne ne l’avait prévenu, il était fier comme un paon et heureux comme un pape.

 

La mère non plus n’avait pas été prévenue !

Je vous jure. On a eu du mal à la croire, mais c’était la vérité.

 

Oh elle avait bien prit 4 ou 5 kilogrammes mais dans sa surcharge pondérale, elle n’avait pas trouvé ça anormal.

Et puis tous les mois elle avait saigné et avec son gros ventre elle n’avait rien senti bouger.

 

J’ai pris la petite pour l’examiner et l’habiller.

Heureusement qu’on avait toujours un kit prêt !

Je suis allé dans l‘ambulance car il n’y avait pas trop de place.

 

La famille vivait dans un mobil-home, c’était aussi petit que propre.

Il y avait une extension en rondins où il faisait bien chaud et juste assez de place pour le lit du frérot.

 

Le père bucheronnait, travaillait ici ou là, pas de vrai boulot mais il se débrouillait.

De toute façon ils s’en foutaient : ils étaient heureux.  Point.

 

Alors quand j’ai eu fini d’examiner et d’apprêter la fillette, je l’ai ramenée à sa maman.

La sage-femme qui s’en était occupée était elle aussi rassurée ; tout allait bien pour la mère, la fille et je ne parle pas du frère !

Ne restait que le père. Comment allait il la prendre cette bouche de plus à nourrir ?

La mère, vue l’heure, me dit qu’il ne tarderait pas.

Alors quand une voiture arriva, je filais à son devant…

 

 

L’homme en est sorti tout doucement.

Son visage bleu sous les reflets des gyrophares des pompiers, des gendarmes et du SAMU exprimait une terreur et un désarroi sans nom.

Qu’allait-on lui annoncer ?

 

En m’approchant j’ai affiché un grand sourire.

Il m’a regardé comme si je venais de Vénus.

 

  • Félicitations monsieur, vous êtes de nouveau papa !

 

Longtemps il m’a regardé avant de se mettre à pleurer appuyé sur sa portière.

 

Et c’est là que je me suis leurré !

Car c’est de joie qu’il pleurait.

 

Quand je l’ai rejoint dans la cabane il tenait son fils dans le bras droit et sa fille dans le gauche.

Malgré la place réduite il dansait une gigue endiablée et sa femme, toujours couchée, riait et pleurait avec lui.

 

J’ai rarement vu quelque chose d’aussi beau…

 

Publiée pour la première fois sur le groupe Facebook "Perles du SAMU" le 7 juillet 2018 à 18H57.

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